Actu 76 du 17/11/22

Déchets du grand Paris près de Rouen :
de nouvelles analyses vont être réalisées

Terres « inertes » ou farcies de métaux lourds ? Après « la polémique », les analyses de l’association pointant une pollution, mises en cause par la préfecture, vont être refaites.

Par Joce Hue – Publié le 17 Nov 22 à 17:12 

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Le secrétaire Ladislas Lefebvre, la présidente Nathalie Haubert, leur avocate Chloé Schmidt-Sarels ainsi que le docteur Richard Petit de l’association Les Pieds dans l’eau – Bardouville en danger.
Le secrétaire Ladislas Lefebvre, la présidente Nathalie Haubert, leur avocate Chloé Schmidt-Sarels ainsi que le docteur Richard Petit de l’association Les Pieds dans l’eau – Bardouville en danger lors de la conférence de presse du 10 novembre à Rouen. (©JH/76Actu)

Un pavé dans la mare qui fait des remous. L’association Les Pieds dans l’eau – Bardouville en danger, qui lutte contre un nouveau dépôt de déchets du Grand Paris dans une boucle de la Seine, a dévoilé lors d’une conférence de presse, jeudi 10 novembre 2022, à Rouen (Seine-Maritime) les résultats d’analyses de terres. Les prélèvements ont été réalisés dans les carrières des communes voisines d’Anneville-Ambourville et Yville-sur-Seine qui accueillent déjà ces déchets, à un ou deux kilomètres à vol d’oiseau du site de Beaulieu à Mauny sur lequel la préfecture a, par arrêté du 25 avril dernier, autorisé la Société Environnement et Minéraux (SEM) à enfouir pas moins de 390 000 m3 de « déchets inertes », soit 729 300 tonnes de gravats représentant l’équivalent de 130 piscines olympiques. 

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Des déchets qui arrivent par barges sur la Seine, provenant des tunnels creusés dans les sous-sols franciliens pour les nouvelles lignes de métro du futur Grand Paris, qui dépasseraient « les taux de manière hallucinante » avec un cocktail de plomb, cadmium, chrome, nickel, arsenic et autres métaux lourds. Une pollution « jusqu’à 100 fois supérieure aux normes », pointe Ladislas Lefebvre, le secrétaire de l’association.

Données « erronées » et « anxiogènes »

La préfecture, dénonçant « la polémique » et des « données erronées », a mis en cause ces analyses dans un communiqué de presse du 15 novembre, elle indique « après analyse par les services de l’État de ces résultats – qui n’ont pas été partagés en amont de la médiatisation –, il s’avère que ces données particulièrement anxiogènes ne correspondent pas à la réalité. » Et de faire un procès en amateurisme à l’association en pointant le fait que les analyses ont été réalisées sur de la « terre brute, et non des valeurs mesurées après essai de lixiviation », ce qui les rendrait caducs et empêcherait toute comparaison « aux valeurs limite fixées par la réglementation ».

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La lixiviation (du latin lixivium, « lessive ») est le traitement d’un mélange par un liquide pour en extraire les constituants solubles. La préfecture utilise l’image du café : « L’analyse sur matériau brut serait l’analyse du café moulu que l’on met dans le filtre, alors que l’analyse après lixiviation serait l’analyse du café liquide que l’on boit une fois qu’il est passé. Les teneurs sont ainsi de 40 à 200 fois inférieures après essai de lixiviation. »  

En pratique, la terre doit être mise à tourner dans de l’eau pendant 24 heures avant analyse puis filtrée. Contacté, le laboratoire caennais AgroQual destinataire de ces prélèvements confirme que ceux-ci ont été analysés « tel que fournis », mais que la terre ayant été entreposée à l’air libre plusieurs semaines, une « lixiviation naturelle » aurait été opérée.  

Le site de stockage des déchets du Grand Paris est une ancienne carrière, située à Mauny (Seine-Maritime), à l’ouest de Rouen.
Le site de stockage des déchets du Grand Paris est une ancienne carrière, située à Mauny (Seine-Maritime), à l’ouest de Rouen. (©AF/76actu)

Dans son communiqué de presse, la préfecture précise que « les terres autorisées chez CBNCEMEX et FCH sont soit des terres inertes, soit des terres naturelles (non polluées) » et que « les analyses doivent être réalisées au moins pour chaque barge, ou par lot (1000 à 2500 tonnes), par des laboratoires accrédités ». Elle fait également état d’inspections « régulières » des installations et de prélèvements de terre pour analyse « de manière inopinée » qui « n’ont pas montré de non-conformité ». 

Fin de non-recevoir de la Préfecture et des exploitants

Interrogés sur la fréquence de ces contrôles mis en avant et après une demande des analyses effectuées ou reçues par les services de l’État, ceux-ci bottent en touche. Après avoir voulu enterrer les analyses de l’association, la préfecture en réclame désormais le détail : elle déclare qu’« avant toute nouvelle communication sur ce dossier », elle est « dans l’attente de la transmission de l’ensemble des éléments sur lesquels l’association se fonde, et de leur analyse par les services de l’État. » La préfecture conditionne un rendez-vous avec les membres à cet envoi préalable. Et d’ajouter à destination de l’association : « La volonté des services de l’État est de clarifier le sujet. En l’état, l’absence de données ne permet en aucun cas d’avancer sur le fond du dossier. S’il était établi que des éléments non conformes ont été identifiés par vos analyses (sans que celles en la possession de nos services ne les aient relevés), il nous paraît indispensable que ceux-ci soient rapidement portés à la connaissance des services compétents. » 

« Pas de commentaires » non plus du côté des exploitants, qui se contentent d’assurer qu’ils « respectent l’intégralité des arrêtés préfectoraux », avancent que des contrôles sont faits sans en apporter la preuve ni même pouvoir dire qui les réalisent… Et renvoient vers la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) « qui les audite une fois par an ». Le serpent se mord la queue.

Des militants de l’association « Les Pieds dans l’eau- Bardouville en danger » et des élus locaux opposés à un projet de stockage de déchets inertes du Grand Paris, se sont réunis devant la préfecture de la Seine-Maritime, à Rouen, jeudi 28 juillet 2022.
Les militants de l’association « Les Pieds dans l’eau- Bardouville en danger » et des élus locaux se sont réunis devant la préfecture de la Seine-Maritime, à Rouen, jeudi 28 juillet 2022. (©VL/76actu)

« On réclame un rendez-vous à la DREAL depuis des mois, sans succès. Mais on ne leur communiquera pas nos résultats sans qu’on puisse leur poser des questions. » Pour Stanislas Lefebvre, « il n’y a aucune traçabilité des barges ni des terres. Contrairement à ce que dit la préfecture, les analyses ne sont faites ni à l’envoi ni à la réception des barges. Les contrôles de la DREAL, qui n’est pas en mesure d’assurer ses missions faute de moyens,  n’ont lieu qu’une fois par an. On n’est pas contre la préfecture ou la DREAL, mais on trouve anormal que CEMEX, CBN ou FCH puisse mentir aux services de l’État. L’inaction de la préfecture porte une atteinte grave à la santé et à l’environnement. Il n’y a aucun principe de précaution, c’est l’économie qui prime. Après cette alerte, pourquoi n’ont-ils pas demandé la suspension de l’envoi de terres ? Ou suspendu la pêche dans les plans d’eau voisins ? »

Le secrétaire de l’association Les Pieds dans l’eau, Ladislas Lefebvre.
Le secrétaire de l’association Les Pieds dans l’eau, Ladislas Lefebvre. (©JH/76actu)

Et concernant leurs analyses, « la préfecture veut faire croire qu’elles sont mauvaises. Leur but est d’étouffer l’affaire. Qu’elle produise ses analyses ! Les terres étaient déjà lixiviées, puisque le ruissellement avait été opéré sur les prélèvements : entre la mise sur quai, le chargement, le transport et le déchargement, les terres ont passé plus de deux mois en extérieur. » Mais pour « clore le débat », l’association va faire procéder à de nouvelles analyses. Les « pieds dans l’eau », mais aussi les pieds sur terre, avec lixiviation cette fois.